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La Fortune de Poutine, signée Denoël et Java, n’est pas une fiction. C’est une plongée documentée et méthodique dans le système mafieux que Vladimir Poutine a mis en place pour s’enrichir et s’imposer, en éliminant un à un tous les obstacles humains, légaux, moraux ou politiques.

Un récit saisissant, clair et rigoureusement documenté
Dès les premières pages, on assiste à l’émergence d’un homme discret, formé au KGB, qui va gravir les échelons grâce à la ruse, la loyauté stratégique et la manipulation. Poutine s’entoure d’un noyau dur d’anciens du KGB, qu’on appelle les siloviki – littéralement « les hommes de la force ».
Même s’ils peuvent sembler très différents — l’un possède une équipe de soccer, l’autre a donné de l’argent à une école d’Oxford, un autre a été emprisonné dans les geôles communistes, un autre était fonctionnaire… — […] ils ont gagné de l’argent grâce à une relation avec le gouvernement russe. […] Ce lien les force à faire toutes sortes de choses pour Poutine
Rapport de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des communes du Royaume-Uni, intitulé “Moscow’s Gold: Russian Corruption in the UK” (2018), publié en pleine affaire Skripal, cité par Roman Borisovich (ancien banquier d’affaires et militant anti-corruption) d’après le site : lapresse.ca
Ce terme désigne les figures issues des services de sécurité, de l’armée, de la police ou du renseignement, qui forment la colonne vertébrale de l’État russe sous son règne. Ensemble, ils contrôlent les ministères clés, les grandes entreprises publiques et les flux financiers stratégiques. Ils sont liés par une culture commune du secret, de l’obéissance, et de la loyauté absolue au chef.
Parmi eux :
- Igor Setchine, ancien du KGB devenu patron de Rosneft, bras droit officieux de Poutine,
- Sergueï Ivanov, ex-ministre de la Défense;
- Nikolai Patrouchev, ex-directeur du FSB, désormais secrétaire du Conseil de sécurité,
- Viktor Zolotov, chef de la Garde nationale;
- Dmitri Medvedev, juriste discret, non issu du KGB mais pilier administratif du système.
Ils forment ce que la BD montre très bien : un appareil sécuritaire reconverti en appareil de prédation économique, avec une capacité de répression aussi massive que silencieuse.

Un pouvoir qui s’appuie sur les réseaux mafieux et la brutalité organisée
La BD démontre que le pouvoir russe n’a jamais rompu avec les logiques criminelles, au contraire : le KGB (puis FSB) tolère les trafics mafieux, les partage, et s’appuie sur eux pour faire le sale boulot : intimidations, racket, éliminations.
Quand un clan refuse de coopérer, Poutine n’hésite pas à libérer un rival mafieux pour rééquilibrer les forces, comme dans le cas de Malyshev contre le clan Tambov.
Des ex-agents du FSB créent des sociétés de sécurité comme Baltic Escort, tandis que Molotov, ex-chef de la 9e direction du KGB, prend en main la sécurité de Vladimir. Tout est verrouillé, encadré, rentable.
L’instrumentalisation et la mise à l’écart des femmes dans le système Poutine
Une démocratie fragilisée
La BD met en lumière un autre aspect du système : le rôle ambigu que jouent certaines femmes dans l’entourage du président russe, entre instrumentalisation, mise à l’écart et silence imposé.
Dès son arrivée au sommet de l’État, en décembre 1999, Poutine écarte Tatiana Diatchenko, fille de Boris Eltsine, qui occupait depuis 1997 une fonction centrale de conseillère présidentielle en communication. Ce geste marque une rupture nette avec l’ère précédente, et symbolise la volonté de recentrer le pouvoir autour d’un cercle d’hommes loyaux et formés dans les structures de sécurité.
Au fil des années, plusieurs femmes apparaissent comme proches du pouvoir, mais jamais dans une position autonome ou stratégique.
Parmi elles :
- Alina Kabaeva, ancienne championne de gymnastique rythmique, devient députée à la Douma (2007–2014), membre du Comité olympique russe, puis présidente du conseil d’administration du National Media Group, qui contrôle plusieurs grands médias pro-Kremlin.
- Svetlana Krivonogikh, femme discrète devenue actionnaire de la Banque Rossiya, aurait reçu, selon le Pandora Papers, un appartement de luxe à Monaco ainsi que plusieurs propriétés à Saint-Pétersbourg.

Ces femmes ne détiennent aucun rôle institutionnel majeur. Elles semblent placées à des postes de confiance ou de rente, sans accès direct à la prise de décision, mais liées au pouvoir par des privilèges et un silence exigé.
La frontière entre vie privée, pouvoir et enrichissement personnel est rigoureusement gardée. Toute tentative de la franchir est lourdement sanctionnée. La mort suspecte en 2023 de la gynécologue Natalia Thiébaud, peu après un documentaire du média Proekt évoquant la relation supposée entre Poutine et Kabaeva, en est une illustration glaçante.
Quand l’argent sale coûte cher aux citoyens européens
La BD La Fortune de Poutine ne se contente pas de raconter l’enrichissement d’un cercle mafieux autour du Kremlin. Elle soulève, en filigrane, une question cruciale : où va l’argent volé ? Et surtout : qui en paie les conséquences, ici, en Europe ?
Car une partie de cette fortune circule, se recycle, se camoufle dans nos propres systèmes économiques — au détriment de nos sociétés.
Les enquêtes Panama Papers, Russian Laundromat et Pandora Papers ont démontré comment plus de 1 000 milliards de dollars ont été blanchis à l’Ouest, avec la complicité active de nombreuses banques occidentales (Credit Suisse, Deutsche Bank Russia, Banca Intesa…).
La fortune du système ne reste pas en Russie. Selon Transparency International, entre 2008 et 2020, les fonctionnaires russes actuels et retraités possédaient au moins 28 000 biens immobiliers dans 85 pays.
Ce que révèle cette BD avec brio, c’est que le système Poutine n’est pas un problème “russe”, mais un cancer global.
L’argent sale blanchi à Londres, à Monaco, en Suisse ou à Chypre n’est pas fictif : ce sont des hôpitaux publics affaiblis, des logements inaccessibles, des régulations détournées, une démocratie distordue au profit des intérêts opaques.
Quand des fortunes mafieuses irriguent l’économie légale, c’est la société entière qui en paie le prix.
Et face à cela, comprendre est une première ligne de défense.
Une grande partie de l’argent qui cause malheureusement de l’instabilité, ici en Bosnie et en Ukraine et bien sûr en Russie, circule dans nos marchés à Londres
Source : lapresse.ca Tom Tugendhat, président de la Commission parlementaire aux Affaires étrangères, dans une entrevue à la BBC
Les métropoles asphyxiées par la spéculation
Dans plusieurs capitales européennes, des biens immobiliers de luxe ont été rachetés par des oligarques russes ou des sociétés-écrans liées à leur entourage. Ces acquisitions ne servent ni à habiter, ni à loger. Elles visent à placer de l’argent à l’abri.
Peu à peu, des quartiers entiers deviennent inaccessibles pour la population locale. Les prix au mètre carré explosent, les logements restent vides, l’offre se raréfie, et les familles sont repoussées en périphérie. Ce phénomène contribue à la crise du logement et à la transformation des centres-villes en vitrines opaques d’intérêts financiers.
Le démantèlement silencieux des services publics
L’argent dissimulé ou blanchi par des circuits financiers opaques ne retourne jamais à la collectivité. Il contourne l’impôt. Or ce sont ces ressources fiscales qui alimentent les hôpitaux, les écoles, les transports, l’énergie, la justice.
Quand ces milliards échappent aux États, les budgets publics sont étranglés, les infrastructures se dégradent, et les citoyens doivent compenser ce manque par des hausses de taxes, des fermetures de lits ou des inégalités d’accès.
Ce n’est pas un phénomène abstrait : c’est une fragilisation directe de nos conditions de vie.
Des entreprises locales mises en péril
Les capitaux venus de Russie ont aussi été injectés dans des secteurs stratégiques européens : énergie, ports, télécoms, industries critiques. Le plus souvent via des montages opaques, des intermédiaires complaisants ou des rachats douteux, parfois encouragés par des complicités politiques locales.
Cette infiltration crée une concurrence déloyale, casse les prix, influence les décisions politiques… et affaiblit durablement les PME, les acteurs locaux, les filières autonomes.
En surface, tout paraît légal. En profondeur, les règles sont faussées.
Une démocratie grignotée de l’intérieur
Enfin, les flux d’argent issus de la corruption ne s’arrêtent pas aux banques ou à l’immobilier. Ils infiltrent aussi la sphère politique : financement occulte de partis, soutien à des candidats populistes, rachat de médias, campagnes de désinformation, pression sur les réseaux sociaux.
Cette influence souterraine affaiblit les démocraties de l’intérieur, nourrit la méfiance, divise les citoyens et fragilise les institutions. On ne voit pas toujours qui agit, ni comment. Mais les effets sont là : la confusion, la polarisation, le cynisme généralisé.

« Ce qu’on a réussi avec Trump, on doit l’étendre à toute l’Europe »: quand la BD révèle la stratégie d’influence du Kremlin, entre manipulation électorale et réseaux politiques infiltrés.
La Fortune de Poutine révèle que le pillage d’un pays n’est jamais sans conséquence pour les autres.
Quand l’argent volé est réinvesti dans nos rues, nos banques, nos élections, c’est notre espace de vie commun qui s’effrite — lentement, mais sûrement.
Ce qui en résulte, des marchés distordus, des entreprises locales affaiblies, des décisions prises en dehors de toute transparence.
Cela génère, une perte de confiance dans les élus, des divisions sociales, une montée des extrêmes et une paralysie démocratique.
Et l’Occident dans tout ça ?
En refermant La Fortune de Poutine, difficile de ne pas se sentir frappé par l’ampleur du système dénoncé : manipulations, détournements, intimidation, fortunes occultes. Mais cette lecture lucide sur la Russie doit aussi nous inviter à une autocritique.
Car si les méthodes diffèrent, l’Occident n’est pas immunisé contre les dérives autoritaires ou les logiques d’impunité.
Quand des intérêts privés dictent des décisions publiques, quand la presse est concentrée entre quelques mains, quand la surveillance numérique s’installe sans débat démocratique… les garde-fous vacillent.
Ce qui distingue encore nos démocraties, ce sont les contre-pouvoirs, la liberté d’enquête, le droit à l’opposition, la transparence du débat. Mais ces protections sont fragiles. Et elles ne valent que si les citoyens les défendent activement.
Le pouvoir absolu ne s’installe pas seulement par la force. Il s’installe aussi par l’habitude, l’indifférence ou la résignation.
La force de cette BD, c’est justement de nous réveiller : ce qui semble lointain, brutal, caricatural… n’est souvent que la forme extrême de dynamiques à l’œuvre partout.
Et c’est là qu’elle devient précieuse : elle alerte, elle interroge, elle fait réfléchir — pas seulement sur la Russie, mais sur nous-mêmes.

En somme, l’argent volé aux citoyens russes et blanchi en Europe devient un poison lent pour les sociétés occidentales elles-mêmes.
Ce que révèle la BD, c’est que derrière chaque villa à Marbella, chaque immeuble vide à Londres ou chaque holding fantôme au Luxembourg, quelqu’un, quelque part, paie le prix.
Pourquoi lire La Fortune de Poutine ?
BDLa comtesse sanglante ou l’immortalité à tout prix — Ce que l’histoire murmure au présentParce que c’est une leçon de lucidité.
Parce que le dessin rend accessible ce que des rapports officiels ne peuvent que résumer.
Parce que cette BD donne des noms, des faits, des circuits, des responsabilités.
Et surtout, parce qu’en la lisant, on comprend à quel point le pouvoir, l’argent et la peur peuvent devenir indissociables… si personne ne regarde.