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1600. Une comtesse hongroise fait trembler la Transylvanie. On la dit cruelle, obsédée par la jeunesse éternelle, se baignant dans le sang de jeunes filles vierges pour conserver sa beauté. Une légende ? Peut-être. Mais surtout : un miroir tendu à notre époque.
2025. Des milliardaires financent la recherche sur l’immortalité, le sang jeune est injecté dans des corps vieillissants, et la peau se tend sous l’effet des radiofréquences embarquées… dans les wagons blindés de Vladimir Poutine.
Le parallèle est brutal, dérangeant — mais révélateur.
De l’époque de Bathory à celle de Poutine, une chose ne change pas : quand on a trop de pouvoir et plus rien à perdre, la vie des autres devient une monnaie d’échange.
Jeunesse, alliances, domination, silence imposé : autre siècle, mêmes obsessions.
Cette BD, Elisabeth Bathory, ne raconte pas seulement l’horreur. Elle met en scène une mécanique du pouvoir, du sang et du sacrifice qui résonne étrangement avec notre actualité. Ce n’est pas seulement une histoire gothique. C’est une métaphore noire de ce que l’ambition humaine devient quand elle se prend pour un dieu.
Et si ce qui nous semblait barbare n’était, en fait, que le reflet amplifié de ce que nous acceptons aujourd’hui sans broncher ?
Une légende de sang : ce que raconte la BD
La comtesse Élisabeth Bathory est entrée dans l’histoire comme l’une des figures les plus troublantes de la noblesse européenne. Née en 1560 dans une famille puissante de Hongrie, elle aurait fait tuer des centaines de jeunes filles dans son château de Cachtice, sous prétexte de les employer comme servantes.
Mais ce qui fascine, plus encore que les chiffres ou les rumeurs, c’est le motif : la jeunesse éternelle.
La légende raconte qu’un jour, en frappant une servante, quelques gouttes de sang seraient tombées sur sa main, la rendant plus lisse, plus ferme. Dès lors, elle aurait ordonné le meurtre méthodique de jeunes filles vierges, pour se baigner dans leur sang, persuadée que cela préserverait sa beauté.
La BD La Comtesse Bathory, magnifiquement illustrée, prend ce matériau historique et en fait un tableau noir, oppressant, dérangeant — mais jamais gratuit.
Elle ne cherche pas le sensationnalisme, mais la mise en scène d’un pouvoir déconnecté du réel, dévoré par son propre vertige.
Ce n’est pas seulement une histoire de sang et de bains macabres. C’est l’histoire d’un monde où la jeunesse devient un objet, le corps un outil de domination, la mort un détail.
La comtesse n’agit pas seule. Elle est entourée, protégée, crainte. Les témoins se taisent, les autorités ferment les yeux, car elle est noble, influente, liée à des familles puissantes.

C’est cela que raconte la BD : comment une société peut produire des monstres… sans jamais les arrêter.
Et c’est là que la résonance commence. Car ce que Bathory fait avec des jeunes paysannes dans les donjons de son château, d’autres aujourd’hui le font avec le langage du progrès, de la science, ou de la sécurité nationale. Ce que la comtesse voulait : retarder sa fin, prolonger sa gloire. Ce que veulent certains milliardaires, chefs d’État ou industriels aujourd’hui : exactement la même chose.
Immortalité 2.0 : les nouveaux alchimistes
À première vue, les rituels sanglants d’Élisabeth Bathory peuvent sembler appartenir à une époque lointaine et barbare. Pourtant, derrière le masque de la folie ou de la cruauté, c’est une même logique qui traverse les siècles : celle d’un pouvoir prêt à tout pour conserver la beauté, le contrôle et l’apparence.
Oscar Wilde, dans Le Portrait de Dorian Gray, l’avait déjà perçu. Ce n’est pas toujours le vice qui est condamnable, mais la vertu de façade, celle qui masque l’indifférence, la domination ou l’hypocrisie :
Ce que le monde appelle vertu, c’est en général l’indolence ; ce qu’il appelle vice, c’est l’éveil de l’esprit
Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray (1891)
Cette phrase, provocatrice et subtile, éclaire à merveille le paradoxe incarné par Élisabeth Bathory.
Sous couvert de raffinement, de noblesse et de beauté entretenue, la comtesse cache un engrenage de violence, de contrôle et de cruauté.
Mais Wilde va plus loin : il critique une société qui préfère l’apparence sage à la pensée libre, qui juge plus durement l’audace que la fadeur, et qui valorise les vertus molles plutôt que les vérités dérangeantes.
Dans un monde obsédé par la jeunesse, la “vertu” peut vite devenir le masque social du pouvoir. Et derrière ce masque, c’est souvent le “vice” — ou du moins une volonté farouche d’exister autrement — qui palpite.
À l’époque de la comtesse Bathory, le sang de jeunes filles vierges était perçu comme une source de régénération. Ce n’était pas seulement une croyance occulte, c’était une métaphore brutale : les puissants vivent plus longtemps parce que les autres leur servent de matière première.
Quatre siècles plus tard, les bains de sang ont changé de forme, mais pas de fonction.
Aujourd’hui, l’élite mondiale ne parle plus de sorcellerie ou d’élixirs. Elle parle de longevité cellulaire, de réinitialisation de l’âge biologique, de reprogrammation génétique. Mais l’obsession est la même : repousser la mort. Et pour cela, aucun prix ne semble trop élevé.
Des fortunes injectées dans la peur de vieillir
- Jeff Bezos (Amazon), Peter Thiel (Paypal), Larry Page (Google), Sergey Brin (Google) ou encore Elon Musk (Tesla, Neuralink), Bryan Johnson (entrepreneur Américain, fondateur de Brain tree/Venmo) financent, chacun à leur manière, des projets de recherche sur la longévité extrême, voire l’immortalité biologique.
- Altos Labs, fondée en 2021, est l’un des laboratoires les plus emblématiques. Son but ? “Rajeunir les cellules humaines”.
- D’autres explorent le transfert de sang jeune à des patients plus âgés, comme le projet controversé Ambrosia aux États-Unis.
- Peter Thiel, lui, s’est dit prêt à tout tester — y compris les traitements “non validés”, à partir du moment où ils repoussent le vieillissement.

Ce ne sont pas des fantasmes de science-fiction. Ce sont des projets réels, dotés de milliards de dollars, développés dans le secret de laboratoires privés où les brevets valent plus que les questions éthiques.
La comtesse Bathory égorgeait des jeunes filles pour une promesse de jeunesse éternelle.
Les nouveaux seigneurs de la Silicon Valley transfusent, séquencent, injectent, transfèrent. Le langage a changé. Le désir non.
Quand la peur de mourir devient un modèle économique
Cette course à l’immortalité est très rentable. Car elle s’appuie sur une logique simple :
LectureVoyage intérieur : la puissance des livres pour un développement personnel éclairé“Plus vous avez peur de mourir, plus vous êtes prêt à payer cher pour vivre plus longtemps.”
De la chirurgie “anti-âge” aux compléments miracles, des caissons d’oxygène aux cryothérapies, une véritable industrie de la longévité prospère sur cette anxiété. Et pendant que les riches prolongent leur existence, les pauvres meurent d’accès aux soins ou d’épuisement.
Ce qui était un mythe élitiste au XVIIe siècle est devenu une réalité technologique réservée aux milliardaires du XXIe.
Et pendant que l’immortalité se vend en laboratoire, les injustices se creusent, les corps sont toujours mis à contribution… et le pouvoir continue de s’acheter du temps sur le dos du monde.
Poutine, entre chirurgie, train blindé et élimination
Parmi les dirigeants contemporains qui incarnent cette obsession du contrôle du corps, du temps et de la menace, Vladimir Poutine est l’un des plus emblématiques. Ce n’est pas un hasard s’il revient, dans de nombreux récits politiques et journalistiques, comme une figure autoritaire entourée de médecins, de mystères… et de cadavres.
Une jeunesse construite, coûte que coûte
À 71 ans, Poutine continue d’apparaître en public avec un visage tendu, des rides effacées, une posture droite. Son entourage immédiat comprend des chirurgiens esthétiques, des endocrinologues et des spécialistes de la longévité.
Il voyage dans un train blindé, plus discret que les avions, équipé — selon plusieurs enquêtes — de dispositifs médicaux portables, y compris des générateurs de radiofréquence destinés à stimuler la peau et les muscles.
Ce n’est pas de la coquetterie. C’est une stratégie : maîtriser l’image, projeter la puissance, effacer le vieillissement.
Dans une dictature, la jeunesse apparente est un outil de propagande, presque un argument de stabilité.
Comme la comtesse Bathory, Poutine refuse la décrépitude, la fragilité, la finitude.
Le corps du chef ne doit pas vieillir. Car vieillir, c’est vaciller. Et vaciller, c’est perdre le pouvoir.
Une méthode d’élimination qui ne dit jamais son nom
Mais là où le parallèle devient glaçant, c’est dans la gestion des opposants:
- Alexeï Navalny, figure de l’opposition, a été empoisonné, emprisonné, puis retrouvé mort dans des conditions douteuses.
- Nicolas Kroutchina, administrateur du patrimoine du Parti, soi-disant suicidé en tombant d’un immeuble.
- Georgy Pavlov, son prédécesseur, mort dans des circonstances similaires.
- Des oligarques, des journalistes, des scientifiques, tombent d’hôtels, se pendent avec des ceintures, disparaissent.
La comtesse Bathory, elle, avait des domestiques dévoués pour faire disparaître les corps. Poutine a des structures d’État. Mais le mécanisme est le même :
Quand quelqu’un gêne, il devient une tâche qu’on efface. Pas besoin d’explication. Juste d’un rideau.
Poutine incarne une forme de pouvoir qui ne veut pas mourir, ne veut pas vieillir, ne veut pas être contredit.
Et comme Bathory, il a ses rituels : le silence, la chirurgie, l’intimidation, la réécriture de l’histoire…
Ce n’est pas un tyran fou. C’est un maître du temps, qui croit pouvoir le manipuler à son profit.
Alliances par le sang, hier et aujourd’hui
Le pouvoir ne se maintient jamais seul. Il s’appuie sur des alliances. Et dans les systèmes les plus fermés, les plus violents, ces alliances ne passent pas par la démocratie, mais par le sang, le mariage, la soumission ou l’héritage.
Des noces politiques dans les châteaux de Transylvanie
Au XVIIe siècle, les familles nobles s’alliaient par mariage, dès l’adolescence, parfois dès l’enfance. Le but n’était pas l’amour, mais la consolidation des terres, des titres, de l’influence.
Élisabeth Bathory épouse à 15 ans Ferenc Nádasdy, issu d’une puissante famille. Leur union rassemble des fortunes et leur donne un pouvoir immense sur la région. Ce mariage la protège. Il l’introduit dans les réseaux les plus hauts de la noblesse. Et c’est à l’ombre de cette protection qu’elle commence ses crimes.
Mariages d’aujourd’hui, mêmes logiques
Ce que l’on observe dans les régimes autoritaires modernes n’est pas si différent.
Prenons l’exemple de Kirill Shamalov, gendre de Vladimir Poutine.
En 2013, il épouse Katerina Tikhonova, fille de Poutine.
Dans les deux années suivantes :
- il devient actionnaire d’une entreprise pétrochimique stratégique (Sibur),
- sa fortune explose,
- il entre dans les cercles fermés des oligarques protégés.
Quelques années plus tard, le mariage est rompu, et Kirill perd une partie de ses privilèges.
Ce n’est pas une histoire d’amour. C’est un pacte. Une transaction. Un mécanisme de verrouillage du pouvoir.
Le pouvoir s’échange, se fusionne, s’hérite
Aujourd’hui encore, que ce soit dans les cercles de la haute finance, des empires industriels ou des présidences autoritaires, le sang et l’alliance restent les outils les plus efficaces pour bâtir l’impunité.
Les gendres, les filles, les cousins deviennent directeurs de banque, patrons d’agence de renseignement, diplomates de façade. Le nom devient une armure.
À l’époque, c’étaient les bals. Aujourd’hui, ce sont les forums économiques.
Mais dans les deux cas, le mariage est un outil stratégique pour posséder ce qui ne devrait pas être possédé : l’État, la loi, les autres.
Ce que nous dit vraiment la BD
La BD Elisabeth Bathory n’est pas seulement une BD historique ou gothique. C’est une allégorie puissante du pouvoir absolu et de ses dérives.
En mettant en scène une femme qui sacrifie des innocentes pour tenter de repousser la vieillesse, les auteurs ne racontent pas seulement une époque révolue — ils nous tendent un miroir.
Une société qui laisse faire
Ce qui frappe dans le récit, ce n’est pas seulement la cruauté d’Élisabeth Bathory, mais le silence autour d’elle.
- Les domestiques ont peur.
- Les autorités ferment les yeux.
- La noblesse protège les siens.
- Le peuple parle… mais trop bas.
Ce n’est pas une femme seule qui tue. C’est un système qui la laisse faire.
BDLa Fortune de Poutine – Une BD coup-de-poing qui révèle les rouages d’un empire mafieuxEt c’est exactement ce que l’on retrouve dans certains régimes actuels :
- Des journalistes assassinés sans conséquences.
- Des opposants exilés, emprisonnés, effacés.
- Des oligarques enrichis par mariage, chantage ou manipulation.
- Et des populations entières qui se taisent, par fatigue, par peur, ou par habitude.
Une modernité sans morale
Aujourd’hui, la barbarie ne se montre plus comme telle.
Elle se camoufle derrière des discours de progrès, de technologie, de performance.
Mais la logique est la même :
- Utiliser les autres pour se prolonger.
- Écarter les voix qui dérangent.
- Se faire dieu au-dessus des lois.
- Déshumaniser les faibles, les pauvres, les dissidents.
Dans la BD, Elisabeth Bathory n’a plus de lien avec la réalité. Elle ne voit plus les jeunes filles comme des êtres humains. Elle ne voit que sa peau, son miroir, son obsession.
Et cette déshumanisation, on la retrouve dans les stratégies modernes des puissants :
- Le “collatéral” en politique militaire.
- Le “turnover” dans les entreprises.
- Le “profil ADN” dans les labos de longévité.
- Le “détail stratégique” dans les morts gênantes.
La Comtesse Bathory nous dit que le pouvoir qui nie la mort finit toujours par nier l’humain.
Elle nous rappelle que lorsque les puissants se prennent pour des dieux, les victimes sont toujours les mêmes : les jeunes, les faibles, les oubliés.
Une oeuvre, une collection
La Comtesse Bathory est scénarisée par Jean-Pierre Pécau, illustrée par Léo Pilipović et mise en couleurs par Silvia Fabris. Ce trio parvient à faire dialoguer l’horreur historique et la beauté graphique dans une narration à la fois dense, troublante et élégante
À découvrir aussi dans la même collection sur le site des éditions Delcourt.
L’album consacré à Élisabeth Bathory s’inscrit dans une série puissante dédiée aux grandes figures féminines de l’histoire, souvent oubliées, diabolisées ou fascinantes. On y croise Catherine de Médicis, Cléopâtre, Jeanne la Pucelle, Théodora, Kahina ou encore Roxane — des femmes qui, chacune à leur manière, ont défié l’ordre établi et marqué leur époque.
Un éclairage précieux sur l’histoire… par celles qui l’ont faite.

L’histoire d’Élisabeth Bathory nous trouble. Pas seulement parce qu’elle fut cruelle, manipulatrice ou monstrueuse. Mais parce que, derrière les pierres froides de son château, elle fait écho à quelque chose de profondément actuel.
Son obsession de la jeunesse, nous la partageons.
Son refus de la finitude, nous l’encourageons.
Son pouvoir protégé par le silence et les privilèges, nous le tolérons encore aujourd’hui.
Et notre société, qu’en dit-elle ?
- Elle admire ceux qui vivent plus longtemps, plus fort, plus riche — même si d’autres en paient le prix.
- Elle vend la jeunesse comme une norme, la vieillesse comme une faute.
- Elle laisse les puissants contrôler leur image, leur corps, leurs récits… jusqu’à ne plus être contredits.
- Elle transforme les corps — et les vies — en ressources, données, variables d’ajustement.
Quand des milliardaires veulent “vaincre la mort”, quand des dictateurs font effacer ceux qui les vieillissent ou les défient, quand la science devient un miroir magique au service de quelques-uns, alors nous devons nous demander à quel prix nous voulons vivre… et qui a le droit de mourir.
La BD La Comtesse Elisabeth Bathory ne parle pas seulement d’elle. Elle parle de nous.
De nos aveuglements.
De notre fascination pour les faux immortels.
De notre capacité à oublier que la vraie grandeur, ce n’est pas de durer —mais de rester humain.